« Protéger 30 % de la planète en 2030, c’est un vrai levier pour la biodiversité », Maud Lelièvre (Union internationale pour la conservation de la nature)
Du 3 au 11 septembre prochain à Marseille, la France accueillera pour la première fois le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Présidente du comité français de cet organisme né en 1948 à Fontainebleau, Maud Lelièvre mène campagne pour y ouvrir le collège des collectivités qui s’ajouterait à ceux des Etats et des organisations non gouvernementales. La déléguée générale des Eco-maires y voit un levier pour traduire les engagements dans l’aménagement des territoires.
Qu’attendez-vous de l’adhésion directe des collectivités à l’Union internationale pour la conservation de la nature ?
Jusqu’ici, les adhérents se répartissent entre plusieurs collèges, notamment celui des Etats et celui des organisations non gouvernementales, auxquelles s’associent de grands organismes de préservation des espaces. Depuis 10 ans, la France porte l’idée d’un nouveau type de membres, dit des « autorités infranationales ». Pour notre pays, il s’agit surtout des villes et des régions, qui deviendraient membres à part entière dans le cadre d’une pondération des droits de vote.
En Corée puis à Hawaï, les deux derniers congrès n’ont pas permis à cette proposition d’aboutir, en grande partie pour des raisons liées à des conflits entre Etats et régions, en particulier en Espagne, ou à cause de l’opposition d’Etats fédéraux. Mais nous avons bon espoir cette fois-ci, après la campagne menée depuis cinq ans par le comité français de l’UICN.
Les collectivités membres porteront-elles une nouvelle dynamique de projets ?
Les nouvelles adhésions résulteront d’un processus long qui bloquera les candidatures de collectivités opposées à la conservation de la nature. Dans ce domaine, le succès repose autant sur l’engagement des Etats et des ONG que sur l’application dans les territoires. Il n’y a pas de protection de la nature possible hors sol ! Si on publie un guide sur le reméandrage des cours d’eau et qu’en même temps on construit des barrages, ça ne marche pas.
Depuis 2007, le groupe Collectivités de l’UICN France mène des recherches et publie des expertises de référence. L’année internationale de la biodiversité a servi de déclencheur à ce mouvement, à partir de 2010. Avec ses dispositions sur l’urbanisme ou la végétalisation du bâti, la loi Biodiversité l’a accéléré.
Quels messages spécifiques souhaitez-vous diffuser en direction du monde de l’aménagement et de la construction ?
Que les gens de ces métiers se préparent à un vrai changement, et non à cocher des cases pour s’inscrire dans une tendance ! Certes, le raisonnement en chiffre d’affaires conduit à privilégier l’hypothèse de faire puis de défaire plutôt que de ne pas faire, mais la gravité des zoonoses doit conduire à mettre fin à ce réflexe, et à pousser le raisonnement économique : ne pas construire donne de la valeur au patrimoine. Je pense que la France a perdu une occasion de le montrer avec son programme Cœur de ville, qui aurait pu mettre franchement le cap sur la désimperméabilisation. L’innovation environnementale répond à une demande des collectivités et des citoyens.
Le mouvement des entreprises de France l’a compris, en souscrivant à l’Acte4Nature. Le sommet des entreprises, dans le cadre du congrès de Marseille, déclinera cet engagement des chefs d’entreprises à l’échelle mondiale. Ce mouvement doit se traduire dans des villes plus vertes. La relance post-covid offre une chance de progresser, si la préservation de la nature mobilise bien 10 % des sommes prévues.
Pourquoi considérez-vous la lutte contre le dérèglement climatique et la protection de la biodiversité comme deux aspects d’un même combat ?
Aucune des deux crises ne peut se résoudre indépendamment de l’autre. Dans leur premier rapport conjoint publié en juin dernier, le groupe intergouvernemental des experts sur le climat et la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques l’ont démontré. La diminution des zones humides et la désertification augmentent la température et réduisent la biodiversité. La déforestation renforce l’effet de serre.
Dès 1992, le sommet de la terre avait identifié les deux sujets à Rio. Mais si les gaz à effets de serre et la température se mesurent partout de la même manière, il n’en va pas de même lorsqu’on parle à la fois de la mangrove des Caraïbes et de la grande barrière de corail : les alertes n’ont pas la même visibilité. Aujourd’hui, on ne peut plus attendre : la biodiversité doit entrer à l’agenda de tous les pays.
Peut-on espérer que le congrès de Marseille marque un réel tournant ?
Cet événement a fait l’objet d’une préparation plus longue, dans une période de crise qui a changé les regards, notamment sur le trafic des espèces et ses impacts sanitaires. Parmi les engagements attendus à Marseille, figure la protection de 30 % du monde en 2030. Le président Emmanuel Macron s’est déjà positionné pour atteindre l’objectif dès 2022 en France, en janvier dernier lors du « One Planet Summit ». Tenir cet engagement suppose un travail conjoint des Etats et des collectivités, à partir de critères rigoureux sur le statut des espaces classés, avec ses autorisations et ses interdictions.
Protéger un tiers de la planète, oui, cela constituerait un vrai levier pour atteindre l’objectif du texte préparatoire à la convention pour la diversité biologique que les Nations unies réuniront finalement en 2022, après un nouveau report : stabiliser les pertes de biodiversité en 2030, puis inverser la courbe en 2050.
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